60 jours et 60 nuits au Rwanda : bilan des courses

Ca va faire maintenant deux mois, presque jour pour jour, que j’ai posé le pied au Rwanda. L’occasion de faire un petit bilan de la situation, de la vie ici, et de ma perception du pays. 

Le boulot tout d’abord : je vais pas revenir sur les missions qui me sont assignées, je les ai présentées dans cet article. Ca suit gentiment son cours, je lis des kilomètres de documents parfois passionnants, parfois chiants a mourir. Dans certains, l’auteur a trouvé bon de mettre des maths toutes les deux lignes, ce qui n’est pas sans me poser problème vu l’étendue de mes compétences en la matière (la faute à mes profs de lycée ça…). Les thématiques sur lesquelles le bureau travaille sont vraiment intéressantes, et c’est assez stimulant d’être entouré de types qui sont des pointures dans leurs domaines respectifs (je pense notamment à un Sénégalais qui était le conseiller du président Wade en ce qui concerne les technologies de l’information et de la communication). Je suis plutôt bien encadré par mon boss et un autre collègue, qui veut me donner des cours de statistiques pour me remettre à niveau. J’avoue que ça me ferait pas de mal… 

Sur Kigali : j’ai déjà parlé de la sécurité qui règne dans les rues de la ville, c’est quelque chose de vraiment épatant. Absolument aucun problème jusqu'à présent, ce qui, quand on connaît mes aptitudes à me retrouver dans la merde, n’est pas une mince affaire. Non seulement la ville est sûre, mais elle est en plus très propre. En témoignent les armées de balayeurs qui s’activent le matin pour nettoyer les trottoirs (trottoirs qui sont en fait déjà propres puisque balayés quotidiennement, mais faut que ça brille). Certains employés tondent la pelouse (à la machette, bon courage), d’autres peignent les trottoirs (en noir et blanc, si si), et un peu plus loin on en voit arracher les mauvaises herbes sur les bords de la route. Tout est nikel, et je vous assure qu’aucune de toutes ces petites mains ne songerait à partir avant que le boulot soit fait, et bien fait. Idem pour les travaux de voierie : des pleins camions amènent de la main d’œuvre en veux-tu en voilà pour refaire un tronçon de route qui pose problème. Et là, notre DDE peut en apprendre en termes de productivité. Un rond point a vu le jour en à peine deux semaines pour fluidifier la circulation à un endroit où les bouchons rendaient le trafic impossible aux horaires de sortie des bureaux. Bon après, faut pas être trop regardant sur les conditions de travail : c’est du non stop, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, avec un contremaître chinois qui reste dans les parages pour vérifier que les délais soient respectés et qui crie dans une langue que seul lui connaît (et moi un peu aussi, aaaaaaaaaannnnnh). 

Sur le Rwanda : beaucoup de choses à dire, qu’il serait difficile de résumer en quelques lignes. S’il y a un point sur lequel on doit cela dit insister, c’est que le Rwanda ne correspond en rien à l’imaginaire qu’un européen peut s’en faire. Oubliez les images de pauvreté, de corruption, de désorganisation et d’insécurité qui sont celles qui viennent à l’esprit quand on parle d’Afrique. Oubliez aussi la barbarie à laquelle l’évocation du Rwanda fait écho, vestige du génocide. Rien de tout ça ici. En juillet 1994, les troupes du FPR menées par Kagamé entrent à Kigali et mettent fin au génocide. Le pays est totalement dévasté, tant en termes d’infrastructures et d’économie qu’au niveau de la société. Croyez-moi, le Rwanda de cette époque n’a absolument plus rien à voir avec celui d’aujourd’hui. J’ai du mal à imaginer qu’un terrible génocide a eu lieu ici il y a tout juste 17 ans. Economiquement, le pays a retrouvé des couleurs, il est même devenu un des plus actifs de la région et du continent en la matière. Son modèle de développement « à la Singapourienne » (créer un cadre favorable à des investissements étrangers massifs) marche à merveille, et est loué par les institutions économiques internationales, au premier rang desquelles la Banque Mondiale. Cette dernière publie annuellement un rapport « doing business » qui recense les politiques nationalement mises en place pour dynamiser les économies. Les mesures prises par le Rwanda ont été saluées (défiscalisation pour les investisseurs, création du Rwanda Development Board qui rassemble en un seul bureau les administrations délivrant les autorisations requises pour investir, facilitant la tâche aux firmes étrangères, etc). Bref, le pays s’est depuis longtemps maintenant remis sur les rails du développement, et à une allure incroyable. Il a aussi beaucoup bénéficié de la création de la CEA (Communauté Est Africaine) et de son marché commun. Ses exportations ont doublé suite au lancement de cette institution qui rassemble Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda et Tanzanie. 

Quelques caractéristiques de la société rwandaise sont très facilement repérables et méritent qu’on s’y arrête un instant. La religion d’abord : j’en ai parlé dans cet article, je ne m’étale pas. Pour vous rendre compte, je vous invite à venir ici, vous évaluerez par vous-mêmes le dynamisme de l’église à 200m de chez moi dont les chants des fidèles vous réveilleront le dimanche matin de bonne heure et de mauvaise humeur. 
J’avais aussi parlé d’un respect étroit des règles : tout doit être carré. Si on vous dit que c’est comme ça, y a pas de discussion, c’est comme ça, et c’est tout. Mon coloc Serge le résume assez bien : « en 94, on leur a dit de tuer des Tutsi, ils ont obéi, point barre ». Il suffit d’inscrire quelque chose dans la loi pour que ça soit appliqué. Cet aspect de la société rwandaise, qui tourne parfois à la psychorigidité, constitue une ligne directrice du comportement des Rwandais et va même être appliqué à l’urbanisme : Kigali est en train de se refaire une beauté via un nouveau plan d’urbanisme, avec développement d’un véritable business district, des jolis buildings et tout le tralala. Le gouvernement a décide que désormais chaque quartier aurait une caractéristique particulière. On aura donc des quartiers EXCLUSIVEMENT résidentiels, d’autre réservés aux affaires, d’autres aux loisirs… Conséquence : des restaurants établis dans des quartiers résidentiels vont devoir plier boutique et rouvrir ailleurs. Notre bureau lui-même est concerné : le bâtiment est situé dans le quartier résidentiel de Kimihurura, et le gouvernement nous a priés de quitter les lieux au plus vite. Je trouve cette réforme d’une débilité absolue, mais d’après Serge elle correspond à la mentalité rwandaise qui stipule que chaque chose doit être à sa place et pas ailleurs. 
Le corollaire de ce respect inconditionnel des lois, c’est l’incroyable sens civique. On le retrouve dans les taux de participation ultra élevés à chacune des élections que connaît le pays, et à côté duquel notre récent taux en la matière aux élections cantonales de ce week end fait vraiment peine à voir. Franche participation aux élections donc, mais aussi citoyenneté très active. J’ai évoqué l’umuganda, travaux collectifs auxquels chaque citoyen doit participer le dernier samedi du mois. Il s’agit de nettoyer un peu le quartier, de passer un coup de peinture là où les bâtiments commencent a plus être très frais, etc. Pas vraiment de sanction en cas de non participation, mais les responsables des associations locales peuvent venir frapper à votre porte, arborer un très large sourire et gentiment vous demander pourquoi vous n’avez pas pris votre balai et votre pinceau ce samedi. Ces associations vont d’ailleurs prendre une dimension encore plus importante dans un futur proche, puisque le gouvernement a décidé de s’appuyer sur elles pour faire remonter les requêtes ou plaintes des citoyens. Ainsi, pour qu’une demande relative à un service public soit traitée, elle devra d’abord être formulée localement, sans quoi elle ne sera pas recevable… 
Un dernier aspect de la société rwandaise qui peut s’avérer aussi sympathique que franchement insupportable : les murs ont des oreilles. Kigali est vraiment une petite ville, tout le monde se connaît. Plusieurs fois il m’est arrivé de me retrouver dans une soirée ou ailleurs, à entendre parler de gens que j’avais croisés ou que je connaissais. Quoique vous fassiez, il est fort probable que ça soit très vite ébruité. Les rumeurs courent ici à une vitesse folle et sont difficiles à arrêter. Une amie de Gaël, mon autre coloc, a ainsi vu débouler une de ses collègues dans son bureau qui lui a demandé : « alors comme ça tu vas te marier avec X ? ». Non seulement elle n’avait pas prévu de se marier, mais surtout elle connaissait pas le X en question… En fait ce qui manque ici, c’est un espace public clairement délimité, qui soit distinct de la sphère privée. On mélange facilement les deux, et il n’est pas rare que de parfaits inconnus vous posent des questions plutôt indélicates. D’un côté, cette absence de barrière entre les deux est bonne pour la rencontre, la communication entre les individus, elle a quelque chose de chaleureux. Mais être abordé par n’importe qui dans la rue, se voir poser des questions sur tout et n’importe quoi, devoir refuser des personnes qui souhaitent s’inviter chez vous parce que « c’est normal, on est ami maintenant » alors que vous les connaissez depuis 5mn, ca peut aussi énerver. Moi perso ça me fait beaucoup marrer… 

J’ai évoqué la situation florissante du Rwanda, et il faut l’admettre, une personne n’y est pas pour rien dans tout ça : j’ai nomme Paul Kagamé. Adulé, célébré, élevé au rang de demi-dieu, « his excellency » fait frémir les foules partout où il passe. Son portrait est affiché dans nombre d’endroits (administrations mais aussi salons de coiffure, magasins…) suivant une démarche individuelle volontaire, puisqu’il ne s’agit en rien d'une obligation. Signe que le peuple aime son président : il a été réélu en 2010 avec 93% des suffrages exprimés. Certes, on pourra lui opposer que de nombreux candidats n’ont pas été autorisés à se présenter, car considérés comme appelant à la division ethnique et accusés de nier le génocide (c’est la version officielle, on comprendra que des considérations plus politiques sont certainement pas complètement étrangères à leur éviction…). Mais tout de même : le peuple aime Kagamé, qui selon les Rwandais incarne leur Nation. Pour me faire comprendre son importance, on m’a expliqué que c’était un peu un De Gaulle du Rwanda, l’homme providentiel qui a mis fin à la plus grande tragédie de l’Histoire du pays, et qui parvient à faire vivre en paix une Nation déchirée, dont les victimes du génocide ont parfois comme voisins les assassins de toute leur famille. Avouez que c’est pas rien. Par ailleurs, c’est un homme simple, un peu un Monsieur tout le monde, et particulièrement accessible. C’est par exemple lui-même qui tient son compte Twitter, sur lequel il répond aux nombreux messages de sympathie qui lui sont adressés. Alors certes, notre vision européenne des choses fait qu’on peut le considérer comme un peu autoritaire. Mais les progrès du pays sont tellement incroyables que les gens lui pardonnent volontiers. D’ailleurs la préoccupation principale de beaucoup de Rwandais aujourd’hui, c’est de savoir qui sera élu président lors de la prochaine échéance en 2017. Aujourd’hui, personne ne semble avoir les épaules pour d’une part incarner la Nation, et d’autre part succéder à un homme comme Kagamé. La constitution empêche de briguer plus de deux mandats, et Kagamé s’est engagé à ne pas la modifier : il ne sera pas candidat à sa propre succession. C’est dans longtemps, mais beaucoup craignent d’ores et déjà ce moment. 

La vie sociale : un élément non négligeable quand on prévoit de rester 7 mois ici. C’est simple : rien de plus facile que de rencontrer du monde, que ça soit des expats (et ils sont nombreux) ou des locaux. J’ai l’impression qu’après avoir demandé son nom à un interlocuteur tout juste rencontré, la règle est de lui demander son numéro de téléphone… Ce qui fait qu’après une soirée n’importe où je me retrouve toujours avec un paquet de numéros dans le répertoire de mon portable, sans d’ailleurs trop pouvoir mettre des visages sur les noms que j’ai enregistrés. Certains expats frustrés vous diront que Kigali c’est un peu mort, qu’on peut rien faire, qu’aucun lieu n’est propice à l’amusement, etc. Effectivement, si on se met en quête de boites et bars identiques à ce qu’on a l’habitude de fréquenter en Europe, alors oui, le choix est restreint, et se limite à 5 ou 6 endroits. Mais ces établissements n’ont pas grand-chose de typique, constituent des vrais ghettos et sont surtout très chers. Par contre, si on va chercher des trucs un peu plus locaux, alors là c’est le pied. J’ai passé la Saint Patrick dans un quartier populaire, au milieu de Rwandais déchainés et dansant jusqu'à pas d’heure, je peux vous dire qu’on s’est marré. 

Si sortir à Kigali est chose facile, la vie culturelle n’est elle pas très développée. Certes, la ville possède deux musées, mais qui sont assez pauvres ; pas de cinéma ou de théâtre (pas à ma connaissance en tout cas) ; très peu de librairies (j’en connais deux pour le moment) ; peu de conférences ou d’événements culturels. On a des galeries où exposent des artistes locaux et un quartier entier dédié a l’art rwandais, mais ça va pas plus loin. S’il y a un point à améliorer, ca serait ça. 

On m’a posé pas mal de questions sur la nourriture et le climat. On va commencer par le climat : normalement, il y a 4 saisons ici. Deux pluvieuses (une petite et une grande) et deux sèches (une petite et une grande aussi). Mais là-dessus, les informations sont jamais les mêmes d’une source à l’autre, donc j’ai décidé de pas trop m’y fier et de voir au jour le jour. Une chose est sûre, mars-avril sont censés être pluvieux ; juillet-août sont secs. Jusqu'à maintenant, je trouvais le climat parfait : entre 20 et 30 degrés tous les jours, et s’il faisait trop chaud, une bonne pluie venait rafraichir le tout. Top. Mais depuis une petite semaine les trombes d’eau ont tendance à jamais cesser, et c’est pas particulièrement agréable. On est loin de la pluie normande ou lilloise, qui s’arrête jamais mais qui est faite de petites gouttelettes inoffensives. J’ose espérer que cette période ne vas pas trop durer, apparemment ca s’atténue fin avril... En ce qui concerne la nourriture, disons que la gastronomie rwandaise ne révèle pas d’incroyables surprises (c’est le Français qui parle…). Les mêmes aliments reviennent assez souvent : riz, haricots rouges, maïs, patates, feuilles de manioc. Ils sont pas toujours cuisinés de la même façon, mais c’est souvent assez sec. Là je parle de la nourriture qu’on trouve si on ne cherche pas vraiment, si on choisit la facilité, c'est-à-dire le restaurant qui propose un buffet le midi, et point barre. Mais on peut aussi aller dans des restos un peu plus huppés et trouver des plats excellents, ou se faire péter la panse dans des endroits locaux à coups de brochettes de chèvre ou de morceaux de porc frits et grillés. En termes de fruits et légumes, les marchés recèlent de produits frais qui permettent de varier son alimentation à des prix imbattables. 

Les prix justement, parlons-en… Quand on a connu le coût de la vie en Bolivie, on a un peu mal au portefeuille en arrivant ici. Non pas que ça soit hors de prix : tout dépend de l’endroit où on fait ses courses. L’expat est feignant, il va pas s’emmerder a faire 35 magasins pour trouver le produit recherché, il cherche la facilité. Les Rwandais l’ont bien compris et ils ont donc construit des supermarchés (deux supermarchés en fait). Alors certes y a du choix, mais l’addition passe très (très) mal. Une boite de céréales peut avoisiner les 8-9 euros, une petite bouteille d’huile d’olive va chercher dans les 7 euros, et difficile de trouver un paquet de 500 grammes de pates à moins de 2 euros. Moralité, je fréquente pas trop ce genre d’endroits et me démerde entre les boutiques locales et les marchés. Les transports sont pas donnés non plus : on peut se déplacer en taxi (mais alors la c’est des prix parisiens), en moto taxi (entre 50 cts et 1.50 la course, selon la destination, et la moto c’est cool) ou en bus (20 cts le trajet dans des conditions… délicates). L’idéal est d’avoir sa propre voiture, mais vu comme le Rwanda est enclavé, je vous raconte pas les prix de l’essence. Et comme les routes sont parfois un peu limites (à part en ville où l’entretien est assuré), le SUV est de mise. Qui dit SUV dit grosse consommation de carburant : votre portefeuille ne vous remerciera pas. 

Enfin dernière chose à côté de laquelle on ne peut vraiment pas passer ici : le souvenir du génocide. Je parcoure quotidiennement le site du New Times, un des journaux du pays, et il se passe rarement un jour sans qu’un article à ce sujet soit publié. 10% de la population a perdu la vie, ça vous donne une idée de l’ampleur du phénomène. J’ai eu l’occasion de discuter avec des rescapés, leurs histoires font froid dans le dos. Le 7 avril, date à laquelle la folie s’est emparée du pays il y a 17 ans cette année, les commémorations nationales vont commencer et dureront une semaine. Il parait que c’est une semaine complètement morte, assez déprimante. J’en reparlerai certainement le moment venu. 

Je pense avoir fait le tour de tout ce qu’il y avait à dire alors que mon 2e mois ici vient de s’achever. En résumé : le Rwanda figurait parmi les pays qui me tenaient à cœur de découvrir, et cette découverte est pour le moment des plus enrichissantes. Je suis content d’être venu ici, et vais continuer à profiter car le temps passe vraiment vite. Cela dit deux problèmes majeurs subsistent : ça me dit pas ce que je vais faire en rentrant en France ; et ça me rend pas mon appareil photo que j’ai oublié avant de partir, boulet que je suis...

Commentaires

  1. Très intéressant.

    Mais le passage sur Kagamé m'a rappelé ton article sur la liberté de presse qui m'avait un peu agacé.

    Peut-on, sous prétexte d'avoir réussi à réconcilier le peuple et à reconstruire le pays avec succès tout pardonner et tout supporter? Y compris les meurtres politiques et/ou de journalistes?

    N'étant pas sur place, je me fie aux articles que je trouve sur Internet.
    (http://bbc.in/kOVhEJ
    http://bit.ly/mrq0L5
    http://bit.ly/iGgGud)

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