Petit tour par le Burundi

J’ai toujours trouvé super classe de pouvoir dire « je pars en réunion à l’étranger », l’international est un peu un gage de sérieux, ça vous donne un petit côté important pas déplaisant. Alors du coup quand j’ai appris que j’avais une réunion au Burundi, petit pays frontalier du Rwanda (côté sud) je me suis dit que c’était super cool. J’ai même songé un instant qu’on nous paierait l’avion pour faire le trajet : mais les types qui nous font venir se sont dits que 7h de bus c’était plus drôle que 25mn dans les airs. Quand je dis nous, je parle de Guillaume et moi : Guillaume est volontaire comme moi ici, et il bosse à l’Institut Français du Rwanda (plus connu sous le nom de Centre d’Echanges Culturels Franco-Rwandais) en tant que bibliothécaire. Et pas n’importe quelle bibliothèque : il est chargé de mettre en place un projet de création de bibliothèque numérique, à base de livres électroniques, d’iPads et tout le tralala. 

Alors chouette, on part en réunion au Burundi. Mais quoi comme réunion au juste ? Il s’agit tout simplement du rassemblement annuel des volontaires de la région des Grands Lacs, dont le Rwanda fait partie au même titre que le Burundi et l’est de la RDC. Moment d’échange, de partage d’expériences et d’éphémère camaraderie dans un cadre plutôt agréable. On va pas cracher dessus. 

On est donc partis la semaine dernière (en fait pas du tout, c’était plutôt y a 3 semaines, mais j’avais commencé à écrire cet article y a un moment avant de tomber dans une crise de procrastination aigüe et de reprendre le bestiau aujourd’hui seulement), mercredi pour être précis, après un passage à l’ambassade du Burundi pour chopper des visas – ambassade où une dame m’a qualifié d’enfanteau à la vue de ma date de naissance, avant d’affirmer que nos autres prénoms à Guillaume et moi n’étaient pas terribles, parents ingrats. On saute dans un bus le mercredi matin, et en route pour 6 à 7h de route. Bon en fait il nous a fallu moins d’une heure pour que le bus tombe en panne, ou plutôt que le klaxon rende l’âme : ça nous valu d’attendre une autre heure qu’un mécano vienne, sectionne un câble et nous autorise à reprendre la route. « Etre immobilisé une heure pour une panne de klaxon : check ». 

La route n’est pas la même que celle que j’avais empruntée quand, en juin dernier, je m’étais rendu pour un week end à Bujumbura. Je suis pas pour autant familier de la ville, par contre je connais bien ses pickpockets et leurs techniques, puisque qu’en 48h la bande de joyeux lurons qui m’accompagnait s’était fait piquer 2 portables, 2 appareils photos et un portefeuille. Sont très forts ces types. La route, disais-je, est différente, et me donne l’occasion de voir que certaines régions du Rwanda sont presque plates, mais de façon désordonnée. Comme si un type avait utilisé l’outil aplatisseur de terrain de sim city, mais s’était arrêté au bout de 5 minutes devant l’ampleur de la tâche. Donc route droite et peu de collines, bizarre. On arrive au poste frontière, pas vraiment l’occasion de se rendre compte des différences entre les deux frères jumeaux que sont le Rwanda et le Burundi, si ce n’est que le drapeau côté rwandais a bien plus fière allure que le bout de tissu un peu déchiré qui sert de drapeau côté burundais. Guillaume a même observé les revêtements au sol du bâtiment côté rwandais : du lino, le même que celui côté burundais. Déception, aucun dépaysement. 

On reprend notre route et comme des gamins on observe les moindres détails de la vie pour tenter de s’imprégner du pays, en appréhender les spécificités. Les campagnes sont identiques à celles du Rwanda : de la vie, des gamins qui courent dans tous les sens, des femmes avec leurs machines à coudre, des chèvres qui se baladent à droite à gauche, des types assis sur les bancs qui doivent compter les véhicules qu’ils voient passer, et c’est à peu près tout. A noter que le Burundi a encore un nombre non négligeable de nyakatsi (huttes traditionnelles au toit de chaume) alors que le gouvernement rwandais a lui mené une campagne de destruction de cet habitat, considéré comme trop dangereux car vulnérable aux incendies et refuge de plein de petites bestioles nocives. Sinon, pas grand-chose à se mettre sous la dent : les mêmes paysages, les mêmes femmes portant les mêmes pagnes aux motifs divers et variés et aux couleurs éclatantes ternies pas les journées au champ. Les mêmes bambins trimballés sur les dos, les deux gambettes pendantes de part et d’autre du corps fatigué des mamans. C’est en zone urbaine que la différence commence à se faire sentir. On s’arrête à Ngozi, ville universitaire du nord du pays, pour manger un morceau. Premier constat : la pauvreté est omniprésente, en témoignent les mendiants qui encerclent le bus dès que le chauffeur l’arrête. Les gamins des rues, pieds nus et en haillons, fourmillent autour de nous. Pas facile de franchir la porte du restaurant sous le regard de tous ces mômes qui scrutent nos moindres gestes et attendent de nous qu’on leur apporte quelque chose du buffet qu’on s’apprête à manger. 

La nourriture, parlons-en : le Rwanda ne brille pas par sa gastronomie, doux euphémisme, et je m’attendais à la même chose côté Burundi. Que nenni ! Si les ingrédients sont inexorablement les mêmes (riz, haricots rouges, patates, feuilles de manioc cuisinées façon épinard, morceaux de bœuf bouillis noyés dans des litres de sauce), le coup de patte burundais fait la différence, pour le plaisir de nos papilles. Voilà donc la deuxième différence notoire, elle est culinaire, et c’est pas pour déplaire l’amateur de bon manger que je suis. 

Encore deux heures de trajet avant de rejoindre Bujumbura (Buja pour les intimes), la capitale du pays. La route est magnifique : végétation luxuriante et habitat traditionnel jouent à cache cache, chaque virage nous révèle splendides vallées et coteaux aux parcelles en terrasse admirablement cultivées. La découverte d’un nouveau pays se traduit par un état d’esprit vif, en alerte et tout est prétexte à l’émerveillement : le bleu du ciel est plus bleu que bleu ; cette fleur là-bas resplendit sous les rayons du soleil ; la lumière, tantôt éclatante, tantôt blafarde, berce le paysage fascinant qui s’offre à nous. Deux heures de route donc, puis on aperçoit au loin en contrebas les faubourgs d’une ville étendue sur une langue de terrain aplati, précédent ce qui ressemble à un plan d’eau : c’est Bujumbura, ville construite sur les rives du lac Tanganyika, qui borde aussi la RDC, la Tanzanie, et va jusqu’au Malawi. 

Kigali se singularise par ses collines ; Bujumbura est ennuyante de platitude. Kigali prend de la hauteur et les tours y fleurissent ; Buja s’étend à l’horizontale plus qu’à la verticale. Son urbanisme est à l’américaine, fait de blocs qui se suivent les uns les autres et séparés par des rues parallèles qui se ressemblent : on a l’impression d’être passé par là et de connaître les lieux, mais on se retrouve dans un endroit absolument inconnu, bref, on est perdu. Pourtant, la ville a quelque chose d’agréable et de véritablement charmant, qui tient à l’animation et au bordel qui régit méthodiquement toute activité. En ça, Buja la vivante contraste énormément avec Kigali l’endormie. On comprend très vite que la ville est pleine de ressources mais ne se laissera pas découvrir facilement : les quelques heures que nous y avons passés, en transit, ne seront pas suffisantes pour saisir la ville, en prendre la pleine mesure (vous l’aurez compris, j’y retournerai…). 

En transit donc, puisque la réunion des volontaires a lieu à Nyanza-Lac, ville du sud, à proximité de la frontière tanzanienne. Deux petites heures de route sont nécessaires pour rejoindre les lieux depuis Bujumbura. La route suit un tracé rectiligne puisqu’elle longe le lac : autant dire que c’est pas la route la plus vilaine qu’il m’ait été donné de prendre. La végétation est plus luxuriante : les palmiers, inexistants au Rwanda, foisonnent au Burundi. On croise ça et là des fabriques d’huile de palme, où les gens travaillent dans des conditions assez déplorables. Clairsemés sur la route, des petits villages animés où les gamins occupent leur temps libre comme ils le peuvent. Les vues sur le lac évoluent au gré des quelques courbes de la route. La lumière changeante et les montagnes du Congo au loin là-bas, de l’autre côté du rivage, achèvent de rendre l’endroit fantastique. 

On arrive finalement à notre hôtel après deux heures de route. Un petit bijou : chaque chambre est accompagnée d’une terrasse-veranda enroulée d’une moustiquaire géante, où de larges canapés permettent de bouquiner ou tout simplement d’admirer la vue sur le lac. Les fleurs éclaboussent l’endroit de couleurs vives, et des petites terrasses plus ou moins reculées dans la roche viennent s’intercaler le long du lac. Et la nourriture, mes amis… Un cuistot hors pair d’une créativité qui n’a d’égale que la longueur de ses dreadlocks. 

Un mot sur la réunion, c’est un peu pour ça qu’on est là : une quinzaine de personnes, la majorité venant du Burundi (seuls Guillaume et moi sommes du Rwanda, et une fille vient de l’Est de la RDC). Ce qui est censé être un échange sur nos missions, nos perceptions, nos difficultés, nos réussites, devient en fait très vite un cours dispensé par les anciens volontaires aux nouveaux. Et ces anciens utilisent en fait l’espace comme un véritable exutoire pour cracher leurs frustrations. « Nan mais ces gens là ils savent jamais dire non, alors ils disent oui, et en fait c’est non, c’est chiant », « une fois j’ai dû attendre 1h pour une réunion, c’est insupportable », « nan mais attends, c’est à eux de s’adapter à moi, si j’ai envie de fumer dans la rue, je m’en fous que ça soit pas bien vu ». Le tout suivi de majestueux « vous allez voir, c’est une expérience humaine incroyable, si c’était à refaire je le referais ». Ca pendant 3 jours, quasi non stop. Autant vous dire qu’avec Guillaume, la moindre petite pause était prétexte à l’enfilage de short de bain et à la trempette. Le temps étant meilleur qu’à Kigali (ah oui tiens, encore une différence avec le Rwanda), on s’est pas privé. Je passe aussi sur la phase de débriefing et d’évaluation du stage, où j’avoue ne pas m’être montré particulièrement clément et ne pas m’être fait que des amis… 

Petite parenthèse sur le Burundi en tant que pays : le pays est surnommé le jumeau du Rwanda. Mêmes caractéristiques géographiques (enclavement en plein cœur de l’Afrique, climat agréable, région des Grands Lacs, présence de collines), historiques (enfin plutôt en termes de colonisation), ethniques (présence de Hutu, Tutsi et Twa). Et pourtant, quand on les regarde aujourd’hui, c’est le jour et la nuit. Je vais pas de nouveau présenter le Rwanda, c’est ce que je m’efforce de faire jusqu’à maintenant. Mais quand on passe quelques heures sur place, on voit que le Burundi est vraiment, vraiment à la ramasse. Insécurité grandissante (il se passe pas un jour sans qu’il y ait des homicides, des vols à main armée, ou même des attaques gratuites), régression du niveau de vie, corruption généralisée. La gouvernance est catastrophique (le président, Pierre Nkurunziza, est un ancien prof de sport qui fait des discours avec un chapeau de cow-boy et des jolies bottes, ça en jette !) et les bailleurs de fonds sont désormais réticents à agir dans le pays. Par contre, il est intéressant de noter que contrairement au Rwanda, les médias sont beaucoup plus libres de s’exprimer, parfois de façon très critique contre le gouvernement. J’ai l’impression que la défense des libertés tient une place plus importante au Burundi qu’au Rwanda. Exemple : une semaine avant qu’on se rende sur place, un collectif de radios avait lancé l’opération « klaxon » : à une heure précise de la journée (12h je crois), toutes les personnes qui conduisaient en ville devaient klaxonner pendant quelques secondes pour montrer leur soutien à une presse libre. L’opération a été un franc succès, même si les policiers postés à chaque coin de rue prenaient soin de noter les plaques d’immatriculation des protestataires. 

Plus que l’insécurité liée aux agressions et aux vols, ce sont les conflits politiques qui présentent un danger tout particulier pour le Burundi. Tous les jours, on apprend à la radio l’assassinat d’un opposant. La méthode est connue : une arrestation pour des broutilles, on emmène l’individu au poste, et on le retrouve quelques jours plus tard, assassiné, sur le bord d’une route. Par ailleurs, un épisode a traumatisé le pays en septembre dernier : une milice s’est introduite dans un bar en bordure de Bujumbura et a exécuté sans sommation 39 personnes. La vérité n’est à ce jour pas vraiment connue, mais les motivations politiques font peu de doute. 

Le Burundi fait de plus en plus l’objet de grandes inquiétudes de la part de la communauté internationale, et le moins qu’on puisse dire, c’est que les défis à relever pour la stabilisation du pays ne manquent pas. 

Le samedi après-midi, retour tranquillement vers Bujumbura, dodo chez d’autres volontaires, même pas la force de sortir. Court échange avec les participants, et finalement je me rends compte que je suis pas le seul à avoir trouvé l’exercice d’une nullité profonde. C’est rassurant de savoir que tout le monde ne fait pas preuve d’un ethnocentrisme exacerbé et qui conduit aux discours que j’ai pu entendre pendant trois jours, surtout quand ces personnes vont passer deux ans à bosser sur le terrain dans un milieu culturel différent. 

Retour à Kigali en milieu de journée après un voyage tranquille, et avec klaxon, s’il vous plait. Prochaine voyage à l’étranger… On va se calmer, je viens de passer 4 jours en France pour ma remise de diplôme, j’ai eu le temps de choper une énorme crève, de vider mon compte en banque et de perdre 3 ou 4 ans d’espérance de vie : il est grand temps de souffler un peu ! 

J’avais pas d’appareil photo donc pas possible d’illustrer mes propos. Guillaume, lui, a pris de remarquables clichés, que je vous invite à zyeuter ici. Vous pouvez même lire son article sur son blog

Commentaires

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