Hotel Rwanda : de la réalité à la fiction
Dans son malheur, la tragédie du génocide a fourni à Hollywood le parfait sujet pour faire un film à grand succès : Hotel Rwanda. Tout le monde en a eu moins entendu parler : l’histoire de Paul Rusesabagina, un Hutu marié à une Tutsi, gérant de l’Hôtel des Mille Collines, qui a ouvert les portes de son établissement aux Tutsi menacés. Très bon film : prenant, bouleversant, émouvant. Mais surtout sujet à de nombreux questionnements. Il y a quelques mois, la Lantos Foundation for Human Rights and Justice, basée aux USA, a remis un prix à Paul Rusesabagina pour ses actes héroïques tels que rapportés dans le film Hotel Rwanda. La décision a provoqué un véritable tollé chez les associations de rescapés du génocide, notamment Ibuka (« souviens-toi » en Kinyarwanda) et AVEGA (Association des Veuves du Génocide d’Avril). Les raisons d’un tel mécontentement ? Paul Rusesabagina ne serait pas le sauveur héroïquement dépeint par Hotel Rwanda, mais un véritable usurpateur. Explications.
Lorsque, le 6 avril 1994, l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana est abattu, les premiers massacres de Tutsi et de Hutu modérés commencent. Il s’agit notamment d’actes de la garde présidentielle, échauffée par l’annonce, et qui entre autres assassinent la première ministre (Hutu modérée) et toute sa famille. Celle-ci était constitutionnellement devenue la présidente par intérim, il fallait s’en débarrasser pour pouvoir avoir les mains libres et perpétrer le génocide. Le 7 avril, Cornelis Bik, le directeur de l’Hôtel des Mille Collines a noté que le climat est particulièrement violent et ordonne à son personnel de laisser entrer quiconque est en quête d’un abri pour échapper aux massacres. Ce Cornelis sera ensuite évacué le 11 avril.
Arrive alors Paul Rusesabagina, directeur de l’Hôtel Diplomate, un autre établissement de la chaîne belge Sabena tout comme le Mille Collines, qui le 15 avril pénètre dans l’hôtel et exige d’en prendre les commandes, comme le lui demandent les dirigeants de Sabena. Mais l’homme ne souhaite pas faire de l’hôtel un camp de réfugiés : il veut que celui-ci continue de fonctionner normalement dans ce qu’il considère certainement comme une simple période de troubles (il a fallu plusieurs semaines de tueries pour que le caractère de génocide commence à devenir évident). Qui dit fonctionnement normal dit entre autres faire payer les services qui sont normalement ceux d’un hôtel : chambres, nourriture, téléphone.
On commence à voir apparaître la supercherie : Rusesabagina n’a en aucun cas ouvert les portes de son hôtel pour abriter des Tutsi menacés. Il a encore moins parcouru les rues de Kigali à la recherche de familles Tutsi qui se cachaient, pour les ramener aux Mille Collines : à ce moment, les barricades arrêtaient tout individu ou tout véhicule pour s’enquérir de son ethnie (indiquée sur la carte d’identité) et procéder systématiquement à l’assassinat des Tutsi, mais aussi de toute personne qui supportait les Tutsi de quelque manière que ce soit. Si Rusesabagina supportait les Tutsi en leur offrant un abri, il aurait été tué sur le champ. Ensuite, de nombreux témoignages d’anciens pensionnaires de l’hôtel confirment l’attitude du gérant. Odette Nyiramirimo, une sénatrice de l’époque, explique que Rusesabagina réservait les chambres de l’hôtel aux fortunés de Kigali, ceux qui étaient en mesure de payer. Elle dit avoir payé un chèque de 600 dollars pour pouvoir rester, et constaté après le génocide que l’argent avait effectivement été débité. Un autre sénateur, Wellas Gasamagera, a payé plus de 1500 dollars pour pouvoir rester 4 jours dans une chambre simple avec 23 membres de sa famille. Rusesabagina l’a lui-même avoué dans son autobiographie : « certaines personnes résidant à l’hôtel venaient me voir avec des reconnaissances de dettes envers Sabena ; j’acceptais ». Un autre rescapé affirme avoir découvert un stock de nourriture le 30 avril, et l’avoir mis à disposition des personnes présentes. Rusesabagina l’aurait ensuite convoqué dans son bureau pour lui faire régler l’addition. Le 18 mai, Michel Houtart, président de Sabena, a exigé que le gérant sur place arrête de refouler des gens incapables de payer. En effet, nombreux sont les témoignages parlant de personnes cherchant refuge mais se voyant refuser l’accès aux Mille Collines, restant ainsi plusieurs heures à l’extérieur de l’enceinte avant que quelqu’un n’accepte de payer Rusesabagina pour que ce dernier les accepte dans l’hôtel.
Par ailleurs, l’homme affirme que si l’hôtel n’a pas été attaqué, c’est grâce à ses accointances avec le gouvernement génocidaire, et grâce à l’argent qu’il leur versait. On peut douter de l’exactitude de ces faits : les génocidaires, dans leur folie meurtrière, n’avaient aucune limite et détruisaient absolument tout sur leur passage (églises, hôpitaux, écoles, maternités, bâtiments officiels, magasins). On comprend mal comment un simple hôtel aurait pu résister. Mais en s’intéressant au statut de celui-ci, on peut avancer quelques explications : le personnel de la MINUAR (Mission des Nations Unies d’Assistance au Rwanda), réduit à environ 250 personnes par une résolution de Conseil de Sécurité des Nations Unies, avait son siège dans cet hôtel. Par ailleurs, certains avancent que Bernard Kouchner y a séjourné et que le gouvernement français, lié de près au gouvernement génocidaire, avait ordonné à ce que les Mille Collines soient épargné. Enfin, les Tutsi présents en nombre constituaient une monnaie d’échange intéressante pour le gouvernement dans le cadre de négociations avec le Front Patriotique Rwandais (rébellion menée par Paul Kagame, Tutsi, pour mettre fin au régime Hutu). Rusesabagina n'y serait donc pour rien dans la préservation des Mille Collines : l'hôtel ne doit sa protection qu'à des éléments extérieurs à l'action de son dirigeant par intérim.
Rusesabagina fait par ailleurs partie de ces personnes considérées comme « négationnistes » puisque selon lui, en guise de génocide, il s’agirait plutôt de conflits interethniques qui ont fait des morts des deux côtés. Il pense aussi que la raison de ces massacres est à imputer à la rébellion de Kagame, qui a attaqué le Rwanda depuis l’Ouganda en 1990, et que c’est ce même Kagame qui a fomenté l’attentat qui a coûté la vie à Juvénal Habyarimana et déclenché les massacres. Il ne dit bien sûr rien sur les persécutions dont les Tutsi sont victimes depuis l’indépendance, qui ont conduit nombre d’entre eux à s’exiler et à se constituer en rébellion. Il s’agit là de faits, de revendications de Rusesabagina, mises par écrit dans une lettre envoyée à Nicolas Sarkozy au moment où la police française arrêtait la veuve de Juvénal Habyarimana, qui vit en France, pour l’entendre sur sa participation dans la planification du génocide.
Le vrai Paul Rusesabagina
A la lumière de ces éléments, on se rend compte que Rusesabagina n’est pas l’homme qu’il prétend être et que le film Hotel Rwanda a dépeint. On peut légitimement cela dit se poser certaines questions, notamment sur l’aspect politique de l’affaire. Rusesabagina ici attise les haines, alors qu’il est primé à l’international. Comment explique-t-on une telle différence de traitement ? Ses défenseurs assurent qu’il s’agit d’une propagande venant de Kigali destinant à décrédibiliser un opposant à Kagame, opposant qui a d’ailleurs créé son propre parti politique pendant son exil.
Il est vrai qu’il est parfois difficile de faire la part des choses tant le gouvernement ici a la faculté d’imposer sa version des faits comme étant indiscutable et lui permettant de se dédouaner. Je pense par exemple au récent assassinat de Charles Ingabire, journaliste rwandais critique du gouvernement et exilé en Ouganda. Les associations de défense de la liberté de la presse y ont immédiatement vu la main du régime de Kigali, alors que le gouvernement a, quelques jours après l’évènement, pondu sa version officielle : Charles Ingabire est un ancien comptable dans une institution de microfinance rwandaise qui a fait faillite, il a quitté le pays pour échapper à la colère des personnes qui ont perdu leur argent, et s’est probablement fait tuer par l’un d’entre eux.
Alors Paul Rusesabagina est-il le Charles Ingabire du génocide, une véritable épine dans le pied de Kigali du fait de son aura internationale, que l’ont doit faire taire ou du moins discréditer ? Supporte-t-il d'anciens génocidaires aujourd'hui réfugiés au Congo, comme l'affirme Kigali ? Ou s’agit-il d’un véritable héros qui mérite les récompenses que l’on s’empresse de lui apporter sur un plateau ?
La réponse à cette question est difficile. Néanmoins les éléments que j’ai présentés dans cet article (témoignages de rescapés des Mille Collines, raisons pour lesquelles les Milles Collines étaient véritablement protégées, propos de Rusesabagina sur le génocide) posent légitimement la question de sa crédibilité et de son honnêteté. Toujours est-il qu’aujourd’hui, le bonhomme peut remercier Hollywood, qui lui a permis de briller à l’international, et surtout d’amasser un joli pactole. Sur le dos, malheureusement, de rescapés qui ont l’impression que leur mémoire est délibérément violée, avec le concours d’organisations de défense des droits de l’homme.
C'est troublant comme la vérité est souvent tronqués.
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