Comment comprendre ?

Il y a eu 17 ans hier que le Rwanda a sombré dans l’obscurantisme et la barbarie. Cent jours qui ont vu près d’un million de personnes subir la folie de leurs voisins, amis, professeurs, collègues, et perdre la vie pour le seul motif que leur carte d’identité portait la mention « Tutsi ». 10.000 personnes tuées par jour. Les chiffres sont ahurissants, je ne suis pas sûr que l’on soit en mesure d’en appréhender la portée tant ils paraissent irréels. Comment a-t-on pu en arriver à une telle déshumanisation ? Comment la haine pour une ethnie a-t-elle pu à ce point être telle qu’elle a conduit à une entreprise visant son éradication ? Comment les instances publiques ont-elles pu encourager les massacres, pire, les planifier ? A ces questions on pourra apporter des réponses qui tenteront d’expliquer ce qui semble pourtant appartenir au domaine de l’irrationnel. Des chercheurs, ethnologues, anthropologues, sociologues, déploient des trésors d’efforts pour comprendre. Mais comprendre quoi ? Comprendre que l’être humain, s’il est capable de mettre son insatiable créativité au service du meilleur, peut malheureusement l’utiliser à d’ignobles fins ? Comprendre les mécanismes qui poussent l’Homme à renier sa nature, à s’ignorer en tant que membre d’une organisation sociale, pour mieux participer à la destruction de cette dernière ? Mais quels mécanismes ? Certes, ces chercheurs trouveront quelques réponses : la manipulation, les comportements de foule, les conflits agraires, la légitimation de la violence par le politique, les difficultés économiques, les divisions historiques… Une espèce d’alchimie de facteurs qui a abouti à l’impensable. Il est possible d’identifier ces causes qui, quand elles entrent en interaction, créent un climat propice aux violences. Comprendre comment se construit ce climat pour éviter que cette interaction ne reparaisse ailleurs et ne crée les mêmes effets. Soit. Mais comprendre comment 10% de la population a sciemment organisé le massacre d’un million des leurs ? Pire, comprendre qu’un individu, bon père de famille, mari attentionné, ami fidèle, se livre aux pires des atrocités sur des familles entières, vieillards et enfants inclus ? Comment peut-on ne serait-ce que prétendre que l’on va tenter de comprendre le cheminement emprunté par cet homme et qui l’a conduit à ôter la vie à une maman en forçant ses enfants à regarder, avant de les exécuter à leur tour ?

Comprendre pour mieux prévenir. Comprendre pour ne jamais recommencer. Comprendre pour dessiner la ligne jaune à ne pas franchir. Comprendre pour que ce climat ne revoit jamais le jour. Oui. Ca, d’accord.

Mais comprendre, c’est aussi rationaliser. Comprendre, c’est de fait légitimer, c’est attester qu’il est possible de tracer la route qui mène à la folie. Je ne peux me résigner à comprendre quelqu’un dont le comportement ferait passer Pinochet pour un enfant de chœur, Mussolini pour un débutant. Il est des choses qui doivent rester dans le domaine de l’irrationnel, de l’incompréhensible, sous peine d’humaniser l’inhumain. Comprendre que l’être humain, malgré toutes les prouesses dont il est capable, peut se révéler un véritable poison pour lui-même.Comprendre que, malgré tous les efforts, arrive un stade où il n’y a plus grand-chose à comprendre.



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